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Archive for the ‘Transmission’ Category

Je le couve, je le couve depuis des années, des mois et des lunes…

Chaque jour, je me dis qu’il faut que je le lâche, que je le donne, que je lui rende vie…

Il est prévu pour le 3 avril prochain, et comme par superstition je n’ose pas en parler avant qu’il n’arrive. De peur qu’il attrape froid, qu’il ne grandisse pas, qu’il ne vive pas le bonheur que je lui souhaite…

Vous voyez, rien que d’en parler, là, je suis très émue.

Parce que, voyez-vous, ce livre…

…ce livre, est un cadeau que je fais avec l’espoir fou qu’il plaise et la peur incontrôlable qu’il n’y parvienne pas.

Il est mon histoire de descendante d’exilés, d’errance dans l’Histoire, d’amour avec mes origines.

Il est le fruit du hasard, de rencontres, de partages et de mon vécu.

Il est un chant à trois voix dans lequel se croisent et se répondent mon histoire, les photographies d’Isabelle Rozenbaum, et mes recettes de famille.

Il est la suite de mon voyage, qui continue.

Il se nomme « Vietnam exquis, Une cuisine entre Ciel et Terre ».

Il paraît le 3 avril prochain aux Editions de la Martinière.

Et je suis heureuse de vous en parler aujourd’hui. Je reviendrai très vite pour vous en dire davantage.

Quelle que soit la trajectoire de ce livre, je remercie déjà toutes les personnes qui viennent sur ce blog, celles qui sont venues à mes cours de cuisine, celles qui ont assisté aux évènements culinaires de « Linh aux platines ». Vos mots, vos encouragements, votre chaleur a rendu cette incroyable aventure possible.

Alors merci et à très bientôt!

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« On ne te demande pas ce qu’on t’a fait On te demande ce que tu as fait De ce qu’on t’a fait » – L’existentialisme est un humanisme – IMG_3584-1 J’ai récemment eu la chance d’écouter le récit de vie de quelques femmes qui m’ont pendant quelques heures soustraite à la mienne en partageant leurs aventures, leurs promesses, leurs espoirs et leurs combats. Elles ont raconté leur chemin parfois de croix, les évidences qui se sont imposées convictions, et les choix de vie qu’elles n’auraient peut-être pas fait, si… Si le Piper de Dorine Bourneton ne s’était écrasé au dessus du triangle maudit un matin de 1991, si Audrey Chenu avait trouvé très tôt « du sens à sa soif de connaissances », si les élèves de Sarah Sauquet ne refusaient pas de recevoir sa passion pour la littérature classique, si Marie Bonnet n’avait pas rencontré Clara atteinte d’un profond psycho-traumatisme, si Audrey Neveu n’avait pas eu le sentiment de perdre du temps, si le sentiment d’urgence n’avait rattrapé Claire Cano, et si Capucine Trochet avait pu faire sa « mini » en voilier comme prévu…la suite des histoires je vous laisse les découvrir sur http://www.tedxchampselyseeswomen.com. Celles de Dorine Bourneton et Audrey Chenu m’ont donné des ailes. Alors j’ai repensé à toutes les personnes que j’ai croisées ces dernières années et à celles qui me sont proches. Que seraient nos vies aujourd’hui si… Et me vient une liste de faits qui ne peuvent être vécus que tragiquement et que je n’aurais envie de lire que chez les auteurs grecs…les cassures d’amour, de rêves, de croyances, d’espoir, d’envie et parfois de vie commencent à faire partie du paysage lorsqu’arrive l’âge où ça demande de la « force de penser que le plus beau reste à venir ». Et je ne m’exclus pas dans ces faits. Peu importe les cassures, mais elles rappellent que la vie est un combat, qu’il faut apprendre à nos enfants à se battre dans tous les sens du terme. Elles rappellent aussi qu’on est seuls, malgré ceux qui nous aiment et voudraient tant nous aider. Elles rappellent enfin qu’après la pluie, le beau temps parce que « this too shall pass ». Et ces cassures ne s’effacent pas, ne s’oublient pas et ne s’ignorent pas. Elles font de nous des êtres fêlés, des traverseurs de désert, des alchimistes de la vie. « La sublimation, c’est transformer l’expérience en objet partageable » – Marie Bonnet. Et la lumière autour de moi, je la vois aujourd’hui dans des entreprises qui se créent, des voyages qui prennent corps, des amours qui renaissent, des défis héroïques qui se concrétisent, des actes de générosité désintéressée, des livres qui s’écrivent, des peurs qui se surmontent. Mais elle est aussi dans le quotidien transformé, où la joie fait durablement son campement. « J’avais plus à perdre en perdant mes jambes qu’en perdant ma joie » – Dorine Bourneton Et hier, en écoutant ces femmes qui tutoient l’océan, le ciel et le vide spirituel alors qu’ un peu ou tout de leur être est cassé, de les voir si lumineuses, rayonnantes, vivantes et battantes, je me suis souvenue que oui, « heureux les fêlés car ils laissent passer la lumière ». Heureuses les fêlées car elles laissent entrer la vie.

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Fin du monde, fin 2012, fin de l’année du dragon… Le début de la fin des fins arrive et ça me donne faim. « Manger et aimer sont les seuls actes qui ne connaissent pas l’érosion du temps » pour résumer ma grand-mère. Comme elle avait raison…

La fin du monde qui n’a pas eu lieu aura été l’occasion d’enterrer une certaine forme de monde, au cas où le 21 décembre 2012 aurait effectivement vu l’avènement d’un monde nouveau. Au-revoir à un monde révolu, confortable et lénifiant, connu et sans horizon, acquis et non conquis.

Pour cela, je me suis retrouvée au Purgatoire, cela ne s’invente pas ; « Linh aux platines » pour une performance culinaire orchestrée par la plate forme de création littéraire et artistique sur le web, D-Fiction. Je vous laisse découvrir la recette d’ogives de carrelet et leur sauce rouge que j’avais créée pour l’occasion.

La fin du monde selon vous-20122012-_HA_0374

Crédit photo : Franck Hamel / http://www.franckhamel.com

La fin de l’année 2012 fut un soulagement, un au-revoir bienvenu à une année qui m’avait autant gâtée qu’elle m’avait pourrie.

La fin de l’année du dragon commence maintenant. Une fin qui commence, c’est un vaste programme qui laisse le temps de formuler des mercis pour l’année écoulée et des voeux pour l’année à venir. L’année du serpent d’eau donc.

Ce soir, j’ai ouvert la porte au génie du foyer, qui comme chaque année va faire son rapport céleste à l’Empereur de Jade, sur nos manquements, nos efforts, nos faiblesses et nos vertus. Il porte avec lui nos mercis et nos voeux, il reviendra dans une semaine avec les auspices que nous espérons les meilleurs.

Comme chaque année, pour que sa parole soit douce et plaide en ma faveur, j’ai mis dans son baluchon un lot de douceurs dont une que j’ai passé la journée à fabriquer. Un dessert doux et chaud à base d’écorces de pamplemousse vert. Une journée à extraire l’amertume de l’écorce pour n’en garder que la douceur.

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Transformer l’amertume en douceur est un pari. C’est une histoire d’alchimie avant tout, de patience, de technique mais très peu, et de confiance dans le fait que c’est un phénomène qui existe. Je promets d’en partager bientôt la recette.

Cette semaine sera une semaine de recueillement, de réflexion sur l’année qui vient de s’écouler. Elle va laisser le temps de formuler de vrais voeux, de ceux qui portent un vrai pouvoir de réalisation.

Mes mercis vont vers tous ceux qui sont près de moi, sur mon chemin. Et à vous qui me lisez, m’encouragez, et trouvez dans mes lignes, mes recettes et mes photos quelques secondes de plaisir. Parmi mes voeux, celui de continuer cet échange avec vous.

A très vite pour la nouvelle année.

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Je suis une mère qui a facilement la larme à l’oeil…

A chaque anniversaire, je m’extasie de la voir encore si grandie et si heureuse que ce soit son jour.

Elle sans peur, sans crainte, sans doute et sans hésitation. Elle généreuse, drôle, tendre, moqueuse, futée, farceuse. Elle boudeuse, butée, déterminée et éloquente. Elle musicienne, sensible, fine, élégante. Elle collectionneuse, précise, observatrice, tatillonne.

Chaque naissance, chaque rencontre forte de ma vie, c’est ma trajectoire qui se trouve percutée par une étoile. Cette étoile a déjà sa trajectoire, son parcours, et une existence qui lui est propre. Elle ne fait que croiser ma route. C’est ainsi qu’un maître spirituel m’a évoqué le karma : « les personnes que tu as aimées, que tu aimes et que tu aimeras, sont tes guides et tu es le leur ». C’est la version bouddhiste des propos du renard dans le « Petit Prince »…

Aujourd’hui elle a 9 ans. Elle manie fort bien les baguettes, pas encore les traditions. Je me souviens de cette nuit où enceinte d’elle, j’ai rêvé de son prénom. Elle et moi avons dès lors entamé un dialogue chaque jour enrichi de ses regards et ses questions, de ses joies et ses colères, de ses peurs et ses dépassements.

Est-il amour plus accompli que celui que nous portons à nos enfants : un amour qui fait grandir, qui élève, qui accompagne, nourrit, écoute, accepte et guide. Un amour qui inspire et libère. Un lien qu’il faut apprendre à couper avec joie et paix.

« Ils nous apprennent » me disait une amie. Je suis d’accord, et chaque jour davantage.

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Langue, n.f. : 

1- Organe principal du goût

2- Organe de la parole

3- Manière de parler

4- Moyen d’expression

5- Ensemble des règles qui régissent un idiome

Dictionnaire Littré de la langue française

J’ai entendu parler d’une croyance qui énonce que pour se construire une identité, l’Homme a besoin, d’une terre, d’une langue et d’une filiation. J’y crois assez pour avoir entrepris de dépasser mon analphabétisme en vietnamien, et je me suis retrouvée à nouveau sur les bancs de l’école pour apprendre à lire et écrire dans cette langue dont je n’ai jamais douté de la richesse lexicale et de la subtilité syntaxique. Comme tout analphabète, je comprends la langue mieux que je ne la parle et ne sais ni la lire ni l’écrire de manière compréhensible…

Mettons la faute sur les 11 voyelles et leurs 6 accents toniques, les diphtongues et les prononciations particulières des consonnes :

Récapitulatif sommaire des voyelles, diphtongues et coda en vietnamien

Ce n’est guère plus compliqué que le Russe que j’ai appris il y a longtemps. Si ce n’est que ma pratique du vietnamien oral a ancré un lot de déformations (qu’on appelle localement l’accent du Sud) et me rend presqu’impossible la traduction de ma prononciation dans l’orthographe appropriée…depuis quelques mois, je réapprends à parler avec l’accent « juste », je dois me corriger sans bien savoir comment car personne autour de moi ne parle l’accent « juste ».

Juste pour exemple, je prononce parfois « è » une lettre qui s’écrit « â », je prononce parfois « e » une lettre qui s’écrit « i ». Et ce ne sont pas des cas isolés…

Ainsi, je confonds les voyelles, les accents et les terminaisons des mots. Je me suis retrouvée un peu brouillée, perdue, parfois même découragée…devant mes piètres résultats et minces progrès…

Alors mon professeur (que je recommande chaudement à tous ceux qui veulent apprendre le vietnamien) qui ne manque jamais de ressources et qui comprend très finement les problèmes de ce genre, m’a donné un conseil plein de sagesse. Elle m’a recommandé de faire un lexique avec chaque voyelle en utilisant les mots qui me sont les plus évocateurs de la langue, ceux que j’utilise le plus ou qui me semblent les plus faciles à retenir. Alors j’ai commencé à décliner chacune des 66 combinaisons (11 voyelles, 6 accents toniques) en leur associant des mots évocateurs.

Et voici le résultat :

Un intrus s'est glissé dans chaque colonne...

Puis les mots ont continué d’affluer ainsi…

…me laissant rêveuse quant à la diversité des champs lexicaux à ma portée…

…puis je me suis rendue à cette évidence que la cuisine vietnamienne est ma langue maternelle.

C’est elle la première à m’avoir  parlé de mon pays d’origine. Elle m’a parlé de sa subtilité par ses mélanges habiles de saveurs, de son ingéniosité par l’usage d’ingrédients inattendus, de sa beauté par la richesse de ses couleurs, de sa diversité par ses odeurs, de ses traditions par ses plats incontournables, de sa géographie par sa palette d’ingrédients, de sa douceur par ses textures, de son bon sens par les vertus alimentaires respectées au quotidien, de sa générosité par le nombre de mets apportés dans le repas le plus simple, de sa modernité par sa capacité à user au mieux des ressources locales, de son courage à travers ses nombreux plats qui demandent plusieurs jours et plusieurs mains, de sa spiritualité dans la découverte des mets du sacré, de sa musique dans l’orchestration des repas traditionnels, de sa joie dans la variété de ses desserts et autres entremets.

C’est elle qui a fait naître puis vivre en moi la nostalgie d’un pays où je ne suis pas née. C’est sa voix, ses saveurs qui m’ont rappelé que j’avais des origines vietnamiennes alors que je pensais n’être que d’ici et de nulle part ailleurs.  C’est la vibration des rues de Saigon, la joie des grandes réunions de famille, la lumière de l’Est du monde, les couleurs  du Mékong qu’elle a fondé dans ma mémoire.

Lorsque j’évoque ses saveurs, ses ingrédients, ses secrets, ses merveilles avec tous ceux qui la connaissent, nous parlons des mêmes plats, nous nous reconnaissons à travers les mêmes évocations gustatives, nous nous retrouvons autour des mêmes souvenirs de cuisine familiale.

La cuisine vietnamienne est aussi la langue de ma grand-mère et de ma mère, leur mode d’expression, leur manière de prendre la parole et de raconter. Je préfère cet apprentissage là à tous les cours du monde…

Une dernière preuve, si besoin était…

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Cholon (littéralement « le grand marché ») est un quartier qui a été créé à Saigon par la communauté chinoise de Bien Hoa au 18ème siècle. Situé sur les bords de la rivière Saigon, c’est un lieu de flux : d’hommes, de marchandises, d’argent et d’eau. Lieu débordant d’énergie selon les souvenirs de mes grands-parents, lieu de grande richesse aussi et lieu de brassage des cultures notamment culinaires.

Mon périple culinaire m’a récemment permis de faire de belles rencontres et retrouvailles. Parmi elles, un ami d’enfance de mes parents, Xuong, que j’ai perdu de vue aux alentours de ma première année…

Vietnamien, d’origine chinoise, Xuong a grandi à Cholon et a généreusement partagé avec moi quelques-uns de ses souvenirs.

Grâce à lui et aux nombreuses photos d’époque qu’il m’ a envoyées, j’ai plongé avec délectation et émotion dans un univers où je vous emmène. Les photos sont de Mr. G., qui fut son professeur  au Vietnam et aussi celui de ma mère. Je laisse les souvenirs de Xuong parler sur quelques-unes des magnifiques photos de Mr G…

"J'aime beaucoup les photos de mon professeur. Je sentais l'amour qu'il portait à ce pays au travers de ses photos. Il a d'ailleurs une épouse vietnamienne et est capable de lire le vietnamien"

Dans mon quartier, la cohabitation entre les deux communautés était bonne. Cela n'a pas toujours était le cas dans le passé. Cholon était devenu quartier chinois au 18è siècle par le fait que les chinois de Bien Hoa y avaient trouvé refuge pour fuir un massacre de leur communauté...

...Toutefois, les chinois se sont bien intégrés dans la société vietnamienne et je pense que j'en suis une preuve.

Cholon était un quartier très animé. On y trouvait les meilleurs restaurants cantonnais et d'autres provinces chinoises de Saigon. Le we, beaucoup de vietnamiens s'y rendaient à midi pour goûter aux fameux dim sum (en cantonnais : ce qui touche le coeur tellement c'est bon)

Les restaurants de rue ne sont pas qu'un moyen de subsistance des petits gens mais font vraiment partie de la culture des saïgonnais. Ce sont des lieux publics de sociabilité autour du boire et du manger en commun. A Cholon où j'habitais, c'était aussi les lieux de rencontre des deux communautés qui cohabitaient harmonieusement. C'est un des souvenirs les plus marquants que j'ai conservé de ma vie à Saïgon.

J'aime pratiquement tout de la restauration de rue. J'en mangeais quand je sortais du lycée (et quand il me restait de l'argent de poche)...Celui qui avait le plus de succès vendait des nouilles avec des boulettes de boeuf (bo viên) et ...des tripes. Près de mon domicile à Cholon, il y avait un quartier très animé... plein de restaurants et de marchands ambulants vietnamiens et chinois. J'avais l'embarras du choix quand j'y allais seul ou avec mes parents.

C'est là que j'ai appris à manger le Hot vit lon (les oeufs de canes couvés), les cannes à sucre étuvées sont un autre de mes favoris. J'ai gardé le souvenir de l'odeur divine des calamars séchés qu'on faisait griller au BBQ et accompagnés d'une sauce Hoi sin et au piment...

Le samedi matin, mon père nous emmenait manger du Com Tam (riz, tranches de porc caramélisé et pâté au crabe) ou de la soupe de riz au canard ou au poisson. La liste est longue...

 » La soupe Mi aux wonton est un plat typiquement chinois. Je l’aime bien accompagnée d’un beignet aux crevettes ».

En hommage à ce touchant présent que Xuong m’a fait en souvenirs et en photos, une recette de Mi aux Wonton :

Soupe de nouilles (Mi) aux raviolis (wonton)

Merci Xuong!

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Chiều một mình qua phố

âm thầm nhớ nhớ tên em…

Seul en ville le soir

En silence je me rappelle ton nom…

Trinh Cong Son (1939-2001)

Saigon, 22h, Place de la cathédrale

Le samedi soir, à la tombée de la nuit, la frénésie est palpable dans la moiteur rougissante de Saigon.

Les trottoirs battent au rythme des terrasses improvisées, le ballet des marchands de rue est étourdissant, la joie est palpable.

Les jeunes saigonnais s’encanaillent à deux, à trois ou à dix sur des tabourets en plastique en sirotant un jus de fruit de la passion, un jus de tamarin ou une prune salée avec bulles…

Ils parlent fort, rient et regardent les passantes sans discrétion, dignes méditerranéens de l’Asie.

Aux alentours, des couples à l’abri des arbres, assis sur leurs motos osent des gestes tendres, avec une pudeur venue d’un autre temps.

Le bruit est partout, entre les carillons des marchands ambulants, les klaxons des voitures et les pétarades des motos. Je suis envahie par l’odeur de l’humidité, le bruit, la lumière, et les regards insistants. La nuit est vibrante, chaude mais pas tardive. A 23h les tabourets s’empilent et chacun rentre chez soi, demain a 6h, le quotidien reprend ses droits.

A quelques rues de là, en plein milieu d’un Saigon qui ne s’appartient plus, des touristes vont entrer dans un bar tenu par des filles en robes longues, fidèles au RV de leur bière habituelle.

Soutenant le regard des jeunes de 20 ans,  je crois croiser le regard de mes oncles, de mes tantes, de mes parents, de leurs amis. 20 ans, précisément l’âge auquel leur mémoire du Vietnam s’est arrêtée, celle qu’ils m’ont transmise.

A eux, je lève mon verre de jus de passion.

Jus de passion

Ingrédients pour 1L de boisson

1 kg de fruits de la passion (12 fruits environ)

1 carotte (pour la couleur)

Sucre selon le goût (environ 100g)

1L d’eau

Recette :

Evider les fruits dans le shaker

Emincer la carotte et l’ajouter au mélange

Ajouter le sucre et l’eau

Mixer

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Servir glacé

 

 

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« J’ai réinventé le passé pour voir la beauté de l’avenir »

Le fou d’Elsa – Louis Aragon

Cette image fut comme un choc, comme une enfance revenue au galop, comme un pied de nez à mes réactions d’alors, comme un rappel-de moins en moins nécessaire-de mes origines, une réminiscence que je voulais partager ici tant elle illustre mon propos.

Elle contient en elle une multitude de symboles qui parlent de ma cuisine de famille.

Au Vietnam, la cuisine se déguste souvent accompagnée de nuoc-mam (eau de saumure de poisson) et d’une large quantité d’herbes aromatiques, basilic, pérille, menthe, coriandre, ciboule et nombre d’autres. La sauce nuoc-mam apporte une touche salée, sucrée, acide, piquante. Les herbes apportent tour à tour une aspérité, une astringence, une douceur, une note fraîche, une note poivrée, du craquant, du contraste ou de la complémentarité avec les plats qu’elles accompagnent. Leur rôle dans la qualité gustative est si important que je renonce parfois à cuisiner certains plats si elles viennent à manquer.

De même, il m’arrive fréquemment de les faire entrer dans des repas où elles n’ont en théorie pas leur place.

Alors j’évalue chaque tige, sélectionne quelques feuilles souvent de même taille, les détache doucement de leur tige pour ne pas les abîmer, superpose plusieurs feuilles au bout de mes doigts, avant de les émincer à la main puis en parsème mon bol ou mon assiette un peu au hasard tout au long du repas, pour créer à chaque bouchée une nouvelle saveur…

C’est un geste mécanique, évident, naturel et indispensable.  Qui me révèle  à mes origines, et me rattache par mimétisme aux gestes maternels.

C’est une réminiscence car enfant, j’étais impressionnée et je l’avoue aujourd’hui, un peu gênée par le bazar autour de son bol à la fin de chaque repas. Des tiges d’herbes nues, que je voyais alors comme autant de déchets…jusqu’à ce jour-là où j’ai cru qu’elle avait dîné à la maison. Les effluves astringentes du nuoc-mam se mêlaient à celle des herbes, vision et odeur familières, créant un cocon sensoriel que j’étais heureuse d’avoir réinventé.

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…me dit-Elle alors que nos mains étaient plongées dans la réalisation d’un mets où patience et précision le disputaient à l’expérience et l’habileté. Sa réflexion a éveillé mes souvenirs d’ « avoir ou être » d’Erich Fromm. Il ne suffit pas d’avoir des enfants pour être parents, d’avoir du talent pour être artiste, d’avoir accumulé pour être riche, ou plus simplement d’avoir pour être.
A un certain stade de mon travail de mémoire,  j’ai eu le réflexe un peu académique et rassurant d’accumuler par le nombre : écrire les recettes familiales, maîtriser les techniques, écouter les histoires petites et grandes, découvrir les récits d’hier, comprendre les théories autour de l’alimentation, la transmission et le goût, effectuer des recherches sur le rôle de la cuisine dans la culture vietnamienne, empiler les ouvrages culinaires…
Pour arriver au constat que même en maîtrisant le grand livre de la Cuisine d’un chef triplement étoilé, je ne serai jamais ce chef triplement étoilé.
Alors entre la théorie pure et parfaite et ce qui arrive aux doux palais de nos bien-aimés?
Entre les deux, la transmission, l’appropriation, les essais multiples sans chance de débutant, le plaisir de se lancer sans connaître le résultat, la crainte de n’être pas à la hauteur, et surtout une envie inaltérable de continuer à faire vivre sa propre idée du goût.
Peut-on fidèlement répliquer une recette? La part de soi qu’on y met n’altère-t-elle pas avec le temps celle qui nous a été transmise? La manière dont nous la transmettons n’ajoute-t-elle pas un écart avec celle que nous avons reçue?
Le goût de nos mères deviendra-t-il le nôtre pour nos enfants?
A quels détails tient le fil ténu qui rattache une recette au patrimoine gastronomique familial?
En ce qui me concerne, il tient à la mémoire des échanges, aux tendres souvenirs de mains qui se croisent et se touchent dans le travail d’une pâte, à un ustensile tendu vers moi « pour voir si j’ai vraiment compris », à un regard qui évalue avec bienveillance, à des phrases presqu’anodines qui contiennent parfois tout le secret, à la confiance qui m’est accordée que je maintiendrai le savoir-faire vivant.  Alors au-delà de la technique, de la chimie des éléments, et des gestes pesés et mesurés, l’émotion ravivée devient mon meilleur guide, traçant le chemin jusqu’à la table.

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De son passé au Vietnam, il reste aujourd’hui quelques photos, des souvenirs enfouis mais surtout, une cuisine subtile et équilibrée qui garde vivante la mémoire d’un pays qu’elle qualifie volontiers de paradis perdu. Si le silence a toujours servi de rempart contre les résurgences non annoncées de souvenirs enfouis, son rapport à la cuisine a toujours dévoilé un attachement fort à son pays d’origine et une nostalgie invaincue. 40 ans de vie française et pas une concession n’a été faite sur sa façon de cuisiner, de partager un repas, de choisir ses ingrédients, de fêter les rituels de son pays en saveurs. Elle parle peu et nourrit sans relâche. Elle m’a donné la vie et ça c’est une belle histoire.

Elle est partie avec ses souvenirs. Son dernier paysage ressemblait à la vue depuis sa chambre, au « Couvent des Oiseaux », disait-elle. Chaque dimanche, elle cuisinait pour nous, les enfants, les mêmes plats savoureusement simples, tellement simples qu’on ne pouvait même pas imaginer qu’il en existe une recette. Tellement habituels qu’on n’imaginait pas que cela pouvait s’arrêter. Tellement pleins d’Elle qu’on n’imaginait pas les plagier. Les murs de sa maison portaient les odeurs de sa douce cuisine. La porte franchie, nous nous jetions dans ses bras, puis sur ses casseroles, pour en soulever le couvercle et s’assurer que nous étions bien attendus, avec nos plats d’enfants. Puis bien évidemment elle est partie. Avec ses souvenirs et ses saveurs. Depuis 10 ans, je cherche son goût, j’envoie mère et tantes à la recherche de la recette qui la fera revenir. Bien évidemment elle ne reviendra pas, mais elle m’a passé le feu et ça c’est une belle histoire.

Son cou émerge gracile de son buste menu et son port de tête altier contraste avec le regard qu’elle protège de ses longs cils, contraste avec sa voix basse bien que légèrement rauque. Ses mains sont incessamment affairées, sans l’ombre d’une précipitation. Ses mots sont pleins : de sagesse, de savoir, de vie, de trésors, de souvenirs. Ses intentions généreuses : transmettre, donner, expliquer, accompagner, insuffler. Aussi face à moi sur notre Terre, et face à ma recherche de savoir, et de savoir-faire à transmettre, elle est pleinement présente. Prendre la suite n’est pas « une petite histoire » comme elle dit. C’est important, même si on pense pouvoir aisément vivre sans. Elle m’a passé le flambeau, et ça c’est une belle histoire.

Leurs petits doigts agiles pilent, découpent, versent, émincent, mélangent, caressent, essaient. Leurs sens encore nouveaux, hument, touchent, goûtent, regardent, jugent et décident. Ils apprennent, ils reproduisent, ils écoutent, ils questionnent, puis agissent à leur manière. Mais déjà ils savent que la cuisine n’est pas « une petite histoire » et d’ailleurs, lorsqu’ils cuisinent, c’est leur affaire. Ils connaissent le nom de tous les plats qu’ils dégustent, savent ce qu’ils contiennent, rêvent d’aller les découvrir en V.O. , ont déjà l’usage des herbes et des condiments pour ajuster les plats à leur goût. Ils cuisinent peu mais commentent beaucoup, ne savent pas vraiment encore faire mais savent déjà comment faire…ils parlent de moi en disant qu’ « Elle » leur fait aimer le Vietnam à travers sa cuisine, et ça c’est mon histoire.

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