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Archive for the ‘Mémoire’ Category

Dans une pagode à Saïgon, la doyenne de ma famille me raconte le passé. L’album qu’elle tient est un vestige du passé de ma famille au Vietnam. Je parcours ses pages collantes depuis que je suis enfant. Mes grands-parents y sont jeunes, ma mère, mes oncles et tantes y sont enfants. Ils sont dehors, derrière eux il y a de belles maisons, une belle lumière, de grands arbres, de belles voitures, ils sont beaux, sages, bien habillés. Et elle me raconte leurs vies. A ce moment du voyage, je suis apaisée, je sais qu’une nouvelle page va s’écrire.

Je suis partie au Vietnam il y a quelques temps, en quête de réponses. J’étais en quête d’identité, j’avais un bug d’auto-définition, je tenais en trop ou trop peu de mots, selon les jours, dans mon lexique personnel pour me décréter entière ou réelle.

J’ai commencé par chercher un fil à remonter pour reconstituer l’histoire. Un fil qui ne charrierait pas trop de tristesse, pas trop de silences, pas trop de souvenirs à oublier…un fil qui ne charrierait pas trop l’Histoire.

Et comme le veut l’adage « qui cherche trouve », ce fil s’est imposé à moi. Je remonterais le fil de mon histoire avec la cuisine vietnamienne et plus précisément avec la cuisine vietnamienne des femmes de ma famille.

Il y eut d’abord ce blog, puis les premiers ateliers culinaires qui m’ont permis de donner vie à ce fil, de le sortir des limbes de ma mémoire sensorielle.

Et par un matin froid du 1e jour de l’année du Tigre, la terre m’a appelée. Le hasard, mais les hasards existent-ils, a fait que ce matin-là, Isabelle Rozenbaum et moi avions rendez-vous pour prendre un café. Je vous résume (beaucoup) notre échange:

« – Isabelle, je sais que je vais partir au Vietnam avant la fin de l’année. Je ne sais pas encore quand, ni comment mais je sais que je vais partir.

– Je pars avec toi.

– OK  »

4 mois plus tard, les billets d’avion étaient réservés, et 8 mois plus tard nous décollions pour Saïgon.

Hier matin, dans ma boîte aux lettres, une enveloppe de carton. J’avoue avoir eu envie de filmer l’ouverture de cette enveloppe comme Apple a annoncé le Mac Book Air. Sur « New soul » de Yael Naim. Mais je ne sais pas filmer.

Le livre est là, devant moi. Enfin, dans l’enveloppe. De temps en temps je la touche pour me dire qu’il est vraiment là. Isabelle m’a appelée ce matin pour me dire qu’elle l’avait vu. Qu’il était superbe. C’est beaucoup d’émotion. C’est beaucoup de temps et de chemin parcouru. C’est beaucoup.

Alors j’ai attendu jusqu’au soir que les battements de mon coeur ralentissent un peu et que ma tribu m’entoure pour ouvrir l’enveloppe…

Je n’ai plus qu’une hâte, celle de partager ce livre avec vous. Vivement le 3 avril!

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Le 31 janvier, ce sera le 31 décembre version calendrier lunaire. Nous allons quitter l’année du Serpent et passer à l’année du Cheval de bois (ce n’est pas une blague). Je ne sais pas encore ce que cela signifie mais je vais me renseigner et partagerai avec vous les prophéties des femmes de ma famille.

Lorsque revient cette période de Nouvel An, je repense à ma grand-mère autour de qui nous nous retrouvions. Elle prenait le Têt très au sérieux dans les traditions (culinaires surtout) et à la fois, elle mettait tant de convictions à asséner des prophéties improbables que ça ne pouvait être que tendrement drôle.

Je comptais consacrer une partie d’aujourd’hui à préparer le départ du génie du foyer dont je parle ici et …quand j’ai découvert hier à 15h, que c’était hier et non aujourd’hui…

J’ai donc foncé dans mes placards en espérant que j’allais y trouver de quoi préparer quelques mets sucrés pour mettre le génie du foyer dans les meilleures dispositions et sucrer sa besace pour adoucir ses propos.

J’avais beaucoup à lui dire, tant que je n’ai pas su par où commencer et que j’ai fini par allumer trois bâtons d’encens et fermer les yeux : j’ai juste dit j’avais fait du mieux que j’avais pu et que je ferais mieux l’année prochaine.

Et sur la table, ce merci que je n’avais pas prévu mais qui se trouvait là et qui à lui seul dit tout.

 

Sur l’autel : un gâteau de manioc, un dessert au maïs et haricots mungo et cet entremets doux, chaud, sucré et simplissime.

Entremets de haricots mungo verts au sucre de canne

Che Dau Xanh

Ingrédients :

250 g de haricots mungo non décortiqués

500 ml d’eau

3 barres de sucre de canne brut

Recette : 

Mettre le tout à feu moyen pendant une heure

Ecumer au milieu de l’ébullition pour retirer les écorces qui émergent

Retirer du feu lorsque les haricots mungo sont tendres

Il se déguste froid ou chaud, du matin au soir, et évidemment de préférence entre les repas…

 

 

 

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Comfort food :

Urban Dictionary :

1 – Nourriture apportant un confort émotionnel à celui qui la mange, nourriture de l’enfance ou liée à une personne, un endroit, un moment perçu comme positif.

2 – Nourriture réconfortante pour le palais et pour tous les autres sens

Webster (Equivalent du Littré américain) :

Nourriture préparée de manière traditionnelle ayant un attrait nostalgique ou sentimental

C’était un jeudi ordinaire de décembre, que j’avais occupé à remuer ciel et terre pour retrouver le tombeau de mon arrière grand-père. « C’est peut-être un détail pour vous mais pour moi ça veut dire beaucoup ». Un tombeau, c’est la preuve de l’existence d’une histoire sur une terre.

L’aléatoire avait été le thème de ma journée. J’avais pris la route à 5h du matin avec pour seul guide un morceau de papier déchiré sur lequel j’avais griffonné avec une orthographe approximative deux informations que mon oncle m’avait données en m’appelant en pleine nuit des Etats-Unis : une adresse et un nom. Je m’étais rendormie anxieuse car il m’avait précisé que « cela faisait plus de 15 ans qu’il n’avait pas eu de nouvelles de ce cousin éloigné et que si je ne le trouvais pas là, il n’y avait pas d’autres pistes pour retrouver le tombeau ».

Pendant les 2 heures de route qui ont relié Can Tho à Long-Xuyen, la ville d’origine de mon grand-père, je serrais mon papier, silencieuse et entièrement tendue vers ce seul but. Je m’accrochais aux ponts, aux arbres qui défilaient sur la route pour chasser le doute. J’imagine que c’est la même anxiété qui étreint le chasseur de trésor qui sait que le temps est compté.

Puis j’ai trouvé l’adresse. Puis j’ai trouvé le cousin éloigné. Qui m’a emmenée au fin fond d’une forêt devenue jungle avec le temps, où reposait mon arrière grand-père.

Un simple mais imposant tombeau de pierre avec son nom gravé dessus, le même nom que celui de mon grand-père, une partie du mien.

Au milieu de cette jungle, entièrement silencieuse, moite et déserte, j’ai laissé pousser quelques racines sous mes pieds en allumant trois bâtons d’encens.

Une éternité s’est écoulée. Un morceau de mon histoire s’est recollé. J’étais venue chercher ce morceau manquant. Je me sentais infiniment protégée et bénie de l’avoir trouvé.

Pour la petite histoire, j’ai en réalité un prénom composé. Assez rare au Vietnam. Je ne l’ai d’ailleurs jamais croisé. Sauf ce jour là, sur une devanture, avoisinant le portail de l’endroit où repose mon arrière grand-père. L’alignement était parfait.

Dans la voiture qui me ramenait au centre de la ville, un vide immense s’est emparé de moi. D’aphasique, je suis devenue apathique, vidée de toute forme d’énergie. Mais j’étais heureuse. Et j’avais envie de fêter cela.

Nous étions en plein après-midi. Les marchés déployaient une ombre bienvenue et nombre d’échoppes avaient été vidées de leur contenu. J’avais envie de manger ce moment historique, de lui donner une dimension gustative.

Et ce fut ce plat, un bún cá (bun pour vermicelles, ca pour poisson, simple), plat traditionnel du Mekong, parfait pour l’occasion. Il s’agit d’un poisson du Mékong mariné au safran et au galanga, servi dans un bouillon parfumé et accompagné de vermicelles de riz, et du soja, des herbes, des herbes, et encore des herbes. Les couleurs, les saveurs, la texture doucement élastique du poisson couplée à la douceur du bouillon et le fondant des vermicelles, le parfum des herbes, le craquant du soja,  m’ont envoyée pour quelques belles minutes au paradis. Il n’était plus si perdu le paradis dont ils m’ont tant parlé.

Dans la recette (pour environ 4 personnes), 4 composantes : le poisson, le bouillon, les vermicelles et le reste

Le poisson

400g de lotte

2 pincées de Safran

1 morceau de galanga (5 cm)

1 c à c de sel, sucre, poivre, nuoc mam

1 c à s d’huile

Emincer le galanga

Mélanger tous les ingrédients

Laisser mariner de 1h à 24h

Avant de servir, faire revenir les morceaux de lotte à la poele

Le bouillon

1 carcasse / ailes / os de poulet

2 L d’eau

1 c à s de sucre, sel, nuoc mam

1 c à s de crevettes séchées

1 oignon, 1 carotte, 1/2 navet Daikon

Porter le tout à ébullition

Ecumer

Laisser mijoter à feu doux entre 2h et 6h selon votre disponibilité

Les vermicelles de riz

Les faire bouillir dans de l’eau avec 1 c à s de vinaigre blanc pendant 5 minutes

Egoutter et rincer

Le reste

Soja, herbes de votre choix, nuoc mam pur mélangé à de l’ail et du piment

Le service

Dans un bol, disposer les vermicelles

Plonger le poisson dans le bouillon puis le disposer dans le bol

Rajouter le soja, les herbes et la sauce nuoc mam en fonction de l’envie

….Comfort food : nourriture qui détient le pouvoir de me ramener vers une partie heureuse de moi.

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 » Si nos existences sont dominées par une recherche du bonheur, 

peu d’activités peut-être révèlent autant de choses sur la dynamique de cette quête-

dans toute son ardeur et tous ses paradoxes-que nos voyages.

Ils expriment, si mal que ce soit, une compréhension de ce que la vie pourrait être, 

en dehors des contraintes du travail et de la lutte pour la survie »

L’art du voyage, Alain de Botton

 

 

Hauteurs de Cannes, août 2011, 15h00, 32°...

Traverser Nice dans un sens puis un autre pour une glace chocolat/orangette chez Fenocchio, traverser Cannes dans le même esprit pour un sorbet à la pêche de vigne chez Jean-Marie Glacier, inventer mille manières de se sustenter pour toujours laisser une place au sorbet gingembre de Vilfeu…S’arrêter au bord des routes à la recherche du parfait bagnet, celui qui renfermera autant le gout de la tomate que celui du temps passé au soleil…dénicher les moindres marchés paysans pour se gaver de légumes ensoleillés…provoquer les rencontres nécessaires pour se faire recommander la meilleure boulangerie du coin…passer un temps non mesuré à cuisiner les artisans pour comprendre « pourquoi mais pourquoi c’est si bon ce qu’il y a dedans? »

Et emmener avec soi dans ces quêtes que d’aucuns qualifieraient de « pêcheresses », sa tribu qui finit par trouver cela normal, qui pense même parfois que c’est cela le voyage.

Puis à l’inverse, longer la côte pour rendre visite à des amis chers et être reçus avec un fondant inoubliable aux abricots et oranges de la région, s’arrêter affamés au bord de la route et être transportés par la suavité d’une sauce tomate maison, marcher des heures en oubliant le temps et devoir s’arrêter chez le dernier traiteur ouvert pour y déguster contre toute attente la meilleure ratatouille de sa vie (vraiment…) « faite avec de bons légumes mais surtout avec du temps »…

Et constater que la dite tribu se réjouit aussi de ces bonnes surprises inattendues et les accueille comme des cadeaux.

Et réaliser en rentrant à la maison que les meilleurs souvenirs sont ceux de ces longues marches contemplatives et gourmandes, des réflexions et confidences glanées sur le chemin, de ces petites silhouettes accompagnées d’une plus grande qui marchent devant moi du même pas parfois joyeux, parfois fatigué. On revient riche de ces histoires que l’on se raconte en marchant, qui nous mettent au diapason de ce qui s’est passé dans l’année écoulée, les pensées qui affleurent et s’égrènent pour accompagner les pas, toujours dans la perspective joyeuse de se régaler à l’arrivée. Et chantonner en soi « c’est si bon de se dire des mots doux, des petits rien du tout mais qui en disent long ».

La langue, enjouée à la perspective d’un plaisir à venir, se délie et se confie. La gourmandise encore une fois a donné un relief à ces moments de vie.

Je ne sais pas si c’est bien ou mal, mais qu’est ce que c’est bon…

 

En cadeau et à partager sans modération :

En plus de Jean-Marie Glacier (photo plus haut)

4 Av. Roi Albert 1er – Cannes

Praliné/feuilletine, Marron glacé

Vilfeu Glacier

14 Rue Bivouac Napoléon -Cannes

 

Chocolat/orangette, Sorbet orange, Vanille /meringue

Fenocchio

2 Place Rossetti – Nice

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Langue, n.f. : 

1- Organe principal du goût

2- Organe de la parole

3- Manière de parler

4- Moyen d’expression

5- Ensemble des règles qui régissent un idiome

Dictionnaire Littré de la langue française

J’ai entendu parler d’une croyance qui énonce que pour se construire une identité, l’Homme a besoin, d’une terre, d’une langue et d’une filiation. J’y crois assez pour avoir entrepris de dépasser mon analphabétisme en vietnamien, et je me suis retrouvée à nouveau sur les bancs de l’école pour apprendre à lire et écrire dans cette langue dont je n’ai jamais douté de la richesse lexicale et de la subtilité syntaxique. Comme tout analphabète, je comprends la langue mieux que je ne la parle et ne sais ni la lire ni l’écrire de manière compréhensible…

Mettons la faute sur les 11 voyelles et leurs 6 accents toniques, les diphtongues et les prononciations particulières des consonnes :

Récapitulatif sommaire des voyelles, diphtongues et coda en vietnamien

Ce n’est guère plus compliqué que le Russe que j’ai appris il y a longtemps. Si ce n’est que ma pratique du vietnamien oral a ancré un lot de déformations (qu’on appelle localement l’accent du Sud) et me rend presqu’impossible la traduction de ma prononciation dans l’orthographe appropriée…depuis quelques mois, je réapprends à parler avec l’accent « juste », je dois me corriger sans bien savoir comment car personne autour de moi ne parle l’accent « juste ».

Juste pour exemple, je prononce parfois « è » une lettre qui s’écrit « â », je prononce parfois « e » une lettre qui s’écrit « i ». Et ce ne sont pas des cas isolés…

Ainsi, je confonds les voyelles, les accents et les terminaisons des mots. Je me suis retrouvée un peu brouillée, perdue, parfois même découragée…devant mes piètres résultats et minces progrès…

Alors mon professeur (que je recommande chaudement à tous ceux qui veulent apprendre le vietnamien) qui ne manque jamais de ressources et qui comprend très finement les problèmes de ce genre, m’a donné un conseil plein de sagesse. Elle m’a recommandé de faire un lexique avec chaque voyelle en utilisant les mots qui me sont les plus évocateurs de la langue, ceux que j’utilise le plus ou qui me semblent les plus faciles à retenir. Alors j’ai commencé à décliner chacune des 66 combinaisons (11 voyelles, 6 accents toniques) en leur associant des mots évocateurs.

Et voici le résultat :

Un intrus s'est glissé dans chaque colonne...

Puis les mots ont continué d’affluer ainsi…

…me laissant rêveuse quant à la diversité des champs lexicaux à ma portée…

…puis je me suis rendue à cette évidence que la cuisine vietnamienne est ma langue maternelle.

C’est elle la première à m’avoir  parlé de mon pays d’origine. Elle m’a parlé de sa subtilité par ses mélanges habiles de saveurs, de son ingéniosité par l’usage d’ingrédients inattendus, de sa beauté par la richesse de ses couleurs, de sa diversité par ses odeurs, de ses traditions par ses plats incontournables, de sa géographie par sa palette d’ingrédients, de sa douceur par ses textures, de son bon sens par les vertus alimentaires respectées au quotidien, de sa générosité par le nombre de mets apportés dans le repas le plus simple, de sa modernité par sa capacité à user au mieux des ressources locales, de son courage à travers ses nombreux plats qui demandent plusieurs jours et plusieurs mains, de sa spiritualité dans la découverte des mets du sacré, de sa musique dans l’orchestration des repas traditionnels, de sa joie dans la variété de ses desserts et autres entremets.

C’est elle qui a fait naître puis vivre en moi la nostalgie d’un pays où je ne suis pas née. C’est sa voix, ses saveurs qui m’ont rappelé que j’avais des origines vietnamiennes alors que je pensais n’être que d’ici et de nulle part ailleurs.  C’est la vibration des rues de Saigon, la joie des grandes réunions de famille, la lumière de l’Est du monde, les couleurs  du Mékong qu’elle a fondé dans ma mémoire.

Lorsque j’évoque ses saveurs, ses ingrédients, ses secrets, ses merveilles avec tous ceux qui la connaissent, nous parlons des mêmes plats, nous nous reconnaissons à travers les mêmes évocations gustatives, nous nous retrouvons autour des mêmes souvenirs de cuisine familiale.

La cuisine vietnamienne est aussi la langue de ma grand-mère et de ma mère, leur mode d’expression, leur manière de prendre la parole et de raconter. Je préfère cet apprentissage là à tous les cours du monde…

Une dernière preuve, si besoin était…

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Cholon (littéralement « le grand marché ») est un quartier qui a été créé à Saigon par la communauté chinoise de Bien Hoa au 18ème siècle. Situé sur les bords de la rivière Saigon, c’est un lieu de flux : d’hommes, de marchandises, d’argent et d’eau. Lieu débordant d’énergie selon les souvenirs de mes grands-parents, lieu de grande richesse aussi et lieu de brassage des cultures notamment culinaires.

Mon périple culinaire m’a récemment permis de faire de belles rencontres et retrouvailles. Parmi elles, un ami d’enfance de mes parents, Xuong, que j’ai perdu de vue aux alentours de ma première année…

Vietnamien, d’origine chinoise, Xuong a grandi à Cholon et a généreusement partagé avec moi quelques-uns de ses souvenirs.

Grâce à lui et aux nombreuses photos d’époque qu’il m’ a envoyées, j’ai plongé avec délectation et émotion dans un univers où je vous emmène. Les photos sont de Mr. G., qui fut son professeur  au Vietnam et aussi celui de ma mère. Je laisse les souvenirs de Xuong parler sur quelques-unes des magnifiques photos de Mr G…

"J'aime beaucoup les photos de mon professeur. Je sentais l'amour qu'il portait à ce pays au travers de ses photos. Il a d'ailleurs une épouse vietnamienne et est capable de lire le vietnamien"

Dans mon quartier, la cohabitation entre les deux communautés était bonne. Cela n'a pas toujours était le cas dans le passé. Cholon était devenu quartier chinois au 18è siècle par le fait que les chinois de Bien Hoa y avaient trouvé refuge pour fuir un massacre de leur communauté...

...Toutefois, les chinois se sont bien intégrés dans la société vietnamienne et je pense que j'en suis une preuve.

Cholon était un quartier très animé. On y trouvait les meilleurs restaurants cantonnais et d'autres provinces chinoises de Saigon. Le we, beaucoup de vietnamiens s'y rendaient à midi pour goûter aux fameux dim sum (en cantonnais : ce qui touche le coeur tellement c'est bon)

Les restaurants de rue ne sont pas qu'un moyen de subsistance des petits gens mais font vraiment partie de la culture des saïgonnais. Ce sont des lieux publics de sociabilité autour du boire et du manger en commun. A Cholon où j'habitais, c'était aussi les lieux de rencontre des deux communautés qui cohabitaient harmonieusement. C'est un des souvenirs les plus marquants que j'ai conservé de ma vie à Saïgon.

J'aime pratiquement tout de la restauration de rue. J'en mangeais quand je sortais du lycée (et quand il me restait de l'argent de poche)...Celui qui avait le plus de succès vendait des nouilles avec des boulettes de boeuf (bo viên) et ...des tripes. Près de mon domicile à Cholon, il y avait un quartier très animé... plein de restaurants et de marchands ambulants vietnamiens et chinois. J'avais l'embarras du choix quand j'y allais seul ou avec mes parents.

C'est là que j'ai appris à manger le Hot vit lon (les oeufs de canes couvés), les cannes à sucre étuvées sont un autre de mes favoris. J'ai gardé le souvenir de l'odeur divine des calamars séchés qu'on faisait griller au BBQ et accompagnés d'une sauce Hoi sin et au piment...

Le samedi matin, mon père nous emmenait manger du Com Tam (riz, tranches de porc caramélisé et pâté au crabe) ou de la soupe de riz au canard ou au poisson. La liste est longue...

 » La soupe Mi aux wonton est un plat typiquement chinois. Je l’aime bien accompagnée d’un beignet aux crevettes ».

En hommage à ce touchant présent que Xuong m’a fait en souvenirs et en photos, une recette de Mi aux Wonton :

Soupe de nouilles (Mi) aux raviolis (wonton)

Merci Xuong!

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L’exil est un espace entre-deux

Entre ici et ailleurs, entre avant et maintenant, entre réel et imaginaire

L’exilée, incapable de se détacher de la terre natale et incapable de se soumettre entièrement à la culture de l’autre

vit dans la nostalgie d’un pays qu’elle n’a pas connu et d’une langue qu’elle n’a jamais parlé.

inspiré par A. Klimkiewiscz

En faisant mes premiers pas incertains sur une terre familière mais inconnue, j’ai été aimantée par les marchés. Zones d’ombre et de fraîcheur au milieu de la frénésie urbaine, les marchés de Saigon portent le nom de leur quartier, sont des lieux de rencontres, rythment la journée des commerçants et des clients, offrent une restauration permanente, dévoilent leurs artisans de jour comme de nuit, font éclore en ville les fruits de chaque nouvelle saison, répondent à mon avidité de toucher un Vietnam suranné. Dans ces lieux de profusion, les femmes se croisent sans différence d’âge, d’origine ou de pensées. Dans ces lieux de ravitaillement, transpire la persistance d’un mode de vie où la cuisine garde encore une place primordiale et dans les commentaires et les négociations, j’y retrouve l’exigence que mettait ma grand-mère à choisir ses aliments.

Errant sans but véritable au milieu de ces marchés, parfois aux heures les plus creuses, celles où les néons sont éteints et les étals fermés ou vidés, j’ai été aimantée par la lumière qui tentait d’y entrer. Plonger dans l’ombre pour mieux entrevoir la lumière, mon parcours d’exilée. De descendante d’exilés. Le passé que je n’ai pas connu mais dont j’hérite me maintient dans une nostalgie à travers laquelle je perçois une beauté sans pouvoir la nommer.

Et ainsi, les images d’aujourd’hui me renvoient à hier, et le réel me renvoie à mon imaginaire. Attirée par un vide qui ne demande qu’à se remplir, mon regard part à la recherche de ces détails qui pourraient me servir de point de départ pour écrire une nouvelle histoire. Et au milieu d’un pays peuplé de 86 millions d’habitants, je capture cet entre-deux qui donne de la substance à mes croyances.

Face à ce vide, je me dis que rien n’est fini ou que tout peut recommencer. Les marchés de Saigon regorgent de recoins qui me maintiennent dans mon imaginaire. Partout mon regard s’arrête sur ce que je ne peux dater, sur ce que je ne peux relier au présent, sur ce qui pourrait sembler n’avoir de sens pour personne si ce n’est pour moi. J’entame avec les marchés de la ville un dialogue de sourd où je trouve de la vie pendant leur sommeil, où je vois de la lumière dans leurs lieux ombragés, créant ainsi un espace-temps où les incohérences de l’histoire trouvent enfin du sens.

Voyant dans une certaine forme de vide la beauté telle qu’elle ne m’a jamais été présentée, m’extasiant sur une simplicité qu’on pourrait appeler dénuement, je me remémore les paroles d’un maître bouddhiste « la vacuité est Illumination ».

 

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Chiều một mình qua phố

âm thầm nhớ nhớ tên em…

Seul en ville le soir

En silence je me rappelle ton nom…

Trinh Cong Son (1939-2001)

Saigon, 22h, Place de la cathédrale

Le samedi soir, à la tombée de la nuit, la frénésie est palpable dans la moiteur rougissante de Saigon.

Les trottoirs battent au rythme des terrasses improvisées, le ballet des marchands de rue est étourdissant, la joie est palpable.

Les jeunes saigonnais s’encanaillent à deux, à trois ou à dix sur des tabourets en plastique en sirotant un jus de fruit de la passion, un jus de tamarin ou une prune salée avec bulles…

Ils parlent fort, rient et regardent les passantes sans discrétion, dignes méditerranéens de l’Asie.

Aux alentours, des couples à l’abri des arbres, assis sur leurs motos osent des gestes tendres, avec une pudeur venue d’un autre temps.

Le bruit est partout, entre les carillons des marchands ambulants, les klaxons des voitures et les pétarades des motos. Je suis envahie par l’odeur de l’humidité, le bruit, la lumière, et les regards insistants. La nuit est vibrante, chaude mais pas tardive. A 23h les tabourets s’empilent et chacun rentre chez soi, demain a 6h, le quotidien reprend ses droits.

A quelques rues de là, en plein milieu d’un Saigon qui ne s’appartient plus, des touristes vont entrer dans un bar tenu par des filles en robes longues, fidèles au RV de leur bière habituelle.

Soutenant le regard des jeunes de 20 ans,  je crois croiser le regard de mes oncles, de mes tantes, de mes parents, de leurs amis. 20 ans, précisément l’âge auquel leur mémoire du Vietnam s’est arrêtée, celle qu’ils m’ont transmise.

A eux, je lève mon verre de jus de passion.

Jus de passion

Ingrédients pour 1L de boisson

1 kg de fruits de la passion (12 fruits environ)

1 carotte (pour la couleur)

Sucre selon le goût (environ 100g)

1L d’eau

Recette :

Evider les fruits dans le shaker

Emincer la carotte et l’ajouter au mélange

Ajouter le sucre et l’eau

Mixer

Filtrer

Servir glacé

 

 

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« J’ai réinventé le passé pour voir la beauté de l’avenir »

Le fou d’Elsa – Louis Aragon

Cette image fut comme un choc, comme une enfance revenue au galop, comme un pied de nez à mes réactions d’alors, comme un rappel-de moins en moins nécessaire-de mes origines, une réminiscence que je voulais partager ici tant elle illustre mon propos.

Elle contient en elle une multitude de symboles qui parlent de ma cuisine de famille.

Au Vietnam, la cuisine se déguste souvent accompagnée de nuoc-mam (eau de saumure de poisson) et d’une large quantité d’herbes aromatiques, basilic, pérille, menthe, coriandre, ciboule et nombre d’autres. La sauce nuoc-mam apporte une touche salée, sucrée, acide, piquante. Les herbes apportent tour à tour une aspérité, une astringence, une douceur, une note fraîche, une note poivrée, du craquant, du contraste ou de la complémentarité avec les plats qu’elles accompagnent. Leur rôle dans la qualité gustative est si important que je renonce parfois à cuisiner certains plats si elles viennent à manquer.

De même, il m’arrive fréquemment de les faire entrer dans des repas où elles n’ont en théorie pas leur place.

Alors j’évalue chaque tige, sélectionne quelques feuilles souvent de même taille, les détache doucement de leur tige pour ne pas les abîmer, superpose plusieurs feuilles au bout de mes doigts, avant de les émincer à la main puis en parsème mon bol ou mon assiette un peu au hasard tout au long du repas, pour créer à chaque bouchée une nouvelle saveur…

C’est un geste mécanique, évident, naturel et indispensable.  Qui me révèle  à mes origines, et me rattache par mimétisme aux gestes maternels.

C’est une réminiscence car enfant, j’étais impressionnée et je l’avoue aujourd’hui, un peu gênée par le bazar autour de son bol à la fin de chaque repas. Des tiges d’herbes nues, que je voyais alors comme autant de déchets…jusqu’à ce jour-là où j’ai cru qu’elle avait dîné à la maison. Les effluves astringentes du nuoc-mam se mêlaient à celle des herbes, vision et odeur familières, créant un cocon sensoriel que j’étais heureuse d’avoir réinventé.

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…me dit-Elle alors que nos mains étaient plongées dans la réalisation d’un mets où patience et précision le disputaient à l’expérience et l’habileté. Sa réflexion a éveillé mes souvenirs d’ « avoir ou être » d’Erich Fromm. Il ne suffit pas d’avoir des enfants pour être parents, d’avoir du talent pour être artiste, d’avoir accumulé pour être riche, ou plus simplement d’avoir pour être.
A un certain stade de mon travail de mémoire,  j’ai eu le réflexe un peu académique et rassurant d’accumuler par le nombre : écrire les recettes familiales, maîtriser les techniques, écouter les histoires petites et grandes, découvrir les récits d’hier, comprendre les théories autour de l’alimentation, la transmission et le goût, effectuer des recherches sur le rôle de la cuisine dans la culture vietnamienne, empiler les ouvrages culinaires…
Pour arriver au constat que même en maîtrisant le grand livre de la Cuisine d’un chef triplement étoilé, je ne serai jamais ce chef triplement étoilé.
Alors entre la théorie pure et parfaite et ce qui arrive aux doux palais de nos bien-aimés?
Entre les deux, la transmission, l’appropriation, les essais multiples sans chance de débutant, le plaisir de se lancer sans connaître le résultat, la crainte de n’être pas à la hauteur, et surtout une envie inaltérable de continuer à faire vivre sa propre idée du goût.
Peut-on fidèlement répliquer une recette? La part de soi qu’on y met n’altère-t-elle pas avec le temps celle qui nous a été transmise? La manière dont nous la transmettons n’ajoute-t-elle pas un écart avec celle que nous avons reçue?
Le goût de nos mères deviendra-t-il le nôtre pour nos enfants?
A quels détails tient le fil ténu qui rattache une recette au patrimoine gastronomique familial?
En ce qui me concerne, il tient à la mémoire des échanges, aux tendres souvenirs de mains qui se croisent et se touchent dans le travail d’une pâte, à un ustensile tendu vers moi « pour voir si j’ai vraiment compris », à un regard qui évalue avec bienveillance, à des phrases presqu’anodines qui contiennent parfois tout le secret, à la confiance qui m’est accordée que je maintiendrai le savoir-faire vivant.  Alors au-delà de la technique, de la chimie des éléments, et des gestes pesés et mesurés, l’émotion ravivée devient mon meilleur guide, traçant le chemin jusqu’à la table.

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